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Carnet 50. Ateliers Berthier.
Abécédaire de l’Odéon
ouvrage coordonné par l’équipe de l’Odéon
illustrations de Michel Longuet
Actes Sud, avril 2008



L’Abécédaire de l’Odéon se présente tout de blanc, de rouge et de noir vêtu. Ce petit ouvrage élégant, au format oblong familier aux lecteurs des éditions Actes Sud, permet par le biais alphabétique de découvrir le Théâtre de l’Odéon, né en 1782 et auquel les vicissitudes de l’histoire ont valu de continuels changements d’appellation : Théâtre-Français, Théâtre de la Nation, Théâtre de l’Egalité, Théâtre-Royal, Odéon-Théâtre de l’Europe depuis 1990… Se succèdent dans cet intéressant Abécédaire des entrées consacrées à des termes techniques (cintres, filage, plateau, corbeille…), historiques (mai 68, querelle, identité…), esthétiques (illusion, nudité…), économiques (budget, direction, fauteuil…) et à quelques noms propres (Antoine, Berthier, Gémier, Hamlet…) qui envisagent l’aventure de l’Odéon dans plusieurs perspectives… et au-delà de l’Odéon, c’est de l’art dramatique plus généralement qu’il est question, sujet inépuisable de découvertes et d’étonnement.

Mais nous parle-t-on d’autobiographie ? s’étonneront les lecteurs apaïstes… On ne nous en parle pas mais elle est là, présente à l’arrière-scène… En effet les concepteurs de l’ouvrage ont eu l’excellente idée de convier Michel Longuet à sa réalisation. Les lecteurs de La Faute à Rousseau et les amateurs de blogs connaissent bien ML., pionnier en matière de chronique personnelle sur Internet. Il a commencé vers l’âge de quinze ans un journal qu’il a poursuivi jusqu’en 1968 et dont l’essentiel a été détruit. Devenu dessinateur, il collabore à la revue Minuit, travaille pour Télérama, réalise des courts métrages d’animation. La mort de son père en 1982 provoque l’arrêt du dessin, et c’est la rencontre d’un psychanalyste en 1992 qui lui permet de dépasser ce blocage et de retrouver goût au dessin. La tenue, à compter de 1993, d’un journal illustré marque ce retour au dessin. Suivant une suggestion de Philippe Lejeune, ML. décide de mettre en ligne certaines feuilles extraites de son journal. Depuis début 2000, les internautes peuvent aller se promener sur son site : son arborescence est à la fois touffue et simple, et l’on passe de ramification en ramification avec curiosité et délectation. Quatre sections principales : « rappel », « mémoire », « cabinet », « biographie ». La section « mémoire » comprend un chapitre « Paris »… et là commence l’aventure dans l’insolite parisien. Quatre icones sur lesquels il suffit d’aller cliquer sont autant de portes d’entrée dans l’Odéon : « Les coulisses de l’Odéon (Acte 1) », « (Acte 2) », « (Acte 3) », « Les 3 portes des ateliers Berthier »… En préambule à l’Acte 1 de la promenade, ML. en explique la motivation, venue des lectures enfantines : « J’avais beaucoup aimé dans Les 7 boules de cristal le passage où le capitaine Haddock et Tintin se perdent dans les coulisses du Music-Hall Palace. J’ai essayé de refaire la même chose au Théâtre de l’Odéon. » C’est de cette promenade illustrée sur Internet que sont extraits certains dessins présents dans L’Abécédaire de l’Odéon.

L’Abécédaire compte treize dessins légendés et datés en pleine page et une série de petits dessins en pied de page qui viennent compléter les définitions. Parmi les dessins en pleine page on relève des vues du plateau, de la pièce des habilleuses, du bureau d’Olivier Py, actuel directeur de l’Odéon, du foyer, de l’orchestre vu des cintres, des cintres, du « vestiaire (provisoire) de la répétition La petite Catherine de Heilbronn »… lieux auxquels le spectateur ordinaire n’a pas nécessairement accès et sur lesquels ML. pose un regard attentif, habile à déceler la poésie et les bizarreries du bric-à-brac quotidien. Nul comédien, nul technicien, nul être vivant ne sont représentés ici mais leur univers de travail, la coquille intime qu’ils vont habiter pour fabriquer la fameuse illusion théâtrale. Un seul dessin représente non l’intérieur du théâtre mais sa façade… Encore ne s’agit-il pas du monument historique du quartier latin mais des Ateliers Berthier situés très au nord de la rive droite, dans un quartier populaire en bordure d’un boulevard de petite ceinture. Cet ancien entrepôt de décors de l’Opéra-Comique, dessiné par Charles Garnier, a été aménagé pour constituer une nouvelle scène du Théâtre de l’Europe où Olivier Py souhaite aller vers de nouveaux publics et « rêver une action sociale à partir de l’artistique ».

Le 19 décembre 2007, ML. s’installe au Bar Terminus, face aux Ateliers Berthier et croque la façade de l’établissement sur une page des carnets qui l’accompagnent dans ses déambulations parisiennes (dessin ci-dessus). Ainsi le dessinateur-diariste nous fait partager ses flâneries et sait poser, même sur les lieux institutionnels, un autre regard.

Françoise Simonet-Tenant
in La Faute à Rousseau
(numéro 49, Les rêves)