> Mémoire > Carnets > Feuilletons > Croquis > Cauchemars > Biographie > Index
Lettre critique de Sa Majesté-des-mouches
Maxime d'Ornantd
t
Je découvre à l’instant ton sujet sur Sa Majesté-des-Mouches. J’arrête mon travail pour t’écrire ces quelques mots : je le trouve admirable. D’abord parce que tu nous offres, par le dessin, ton interprétation esthétique du livre de Golding, qui jusque-là n’a jamais été envisagé qu’à travers l’illustration – que ce soit par les images du film de Brook, dont tes dessins divergent (partent d’eux, peut-être, mais divergent : on y voit autre chose, quelque chose de nouveau), ou par l’illustration, par exemple cette bande dessinée récente, qui se veut une adaptation du roman, avec des garçons-poupées infantilisés jusque dans la mort, qui gardent leurs culottes tout au long de l’album (en cela, une tentative bien de son temps). Toi, tu fais le choix de montrer le sexe. Toi, génial, tu virilises l’enfant (c’est là un aspect essentiel de ton travail, assez particulier, que j’aimerai creuser davantage : tu lui donnes des poils, des griffes, tu lui donnes la possibilité de déplaire, de sortir de l’attendu du beau).

Admirable aussi parce qu’au lieu d’extraire du livre l’habituelle morale philosophique sur la capitulation civilisationnelle de l’impossibilité du « bon sauvage » rousseauiste, ton sujet s’attache au personnage le plus facilement délaissé, le plus haï, le plus adulte et le plus enfantin : Piggy, ton martyr. Cette application que tu mets à ne pas tomber dans les chausse-trappes de l’adoucissement, voire de l’anesthésie du texte par le dessin d’illustration est émouvante et même assez impressionnante. Non, tu n’es pas illustrateur. Créateur, tu es porteur d’un regard, et par ce regard Sa Majesté-des-Mouches nous apparaît enfin comme le grand texte subversif anglais qui n’était plus depuis longtemps en France qu’un livre pour enfants : tu en fais un livre de la nudité, de la cruauté enfantine, toi qui la connais si bien pour faire parler Piggy à travers toi, Piggy, l’image de ta propre enfance.

J’aime beaucoup le dessin du Kyrie, bien sûr, mais aussi celui du cauchemar des petits, avec la bête… C’est très fort. La bête elle-même (« ils la virent ») est bien plus effrayante que ce que je m’étais imaginé, plus infernale que dans le film. Il y a dans tous ces dessins une identité visuelle qui me plaît beaucoup, à laquelle je continue de m’éduquer. Je ne sais pas ce qu’en aurait pensé Tony, mais je crois qu’il aurait aimé, approuvé et loué la démystification totale de l’enfance à laquelle tu te livres par le dessin quand le roman s’y essaye par l’écriture. Et ton choix de mettre le mot FIN juste après la mort de Piggy… Oui, il y a bien une fin à ce moment-là, on peut même dire que c’est là que tout finit, que le paradis des enfants est bien souvent l’enfer du seul enfant définitif qui se trouve parmi eux.