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Michel Longuet un journal dessiné au long cours
Questionnaire par Bernard Massip
in La Faute à Rousseau (n°97, octobre 2024)

Depuis plus de trente ans, Michel Longuet tient sur ses carnets un remarquable journal dessiné. Au mois de juin 2024, il a atteint son centième carnet ! On peut découvrir son travail sur son site : michel.longuet.free.fr


Michel Longuet, vous avez eu une riche carrière d'illustrateur avant de commencer votre vie de dessinateur diariste avec votre premier carnet en 1993. Pouvez-vous nous dire ce qui a motivé l'adoption de cette nouvelle pratique ?

...J'ai arrêté de dessiner en 1982, pendant 10 ans après la mort de mon père. La simple vue d'une feuille de papier me donnait la nausée. Mais petit à petit, sous la houlette d'un psychanaliste, j'ai retrouvé le goût du dessin. Et la découverte du journal de jeunesse de Tomi Ungerer, où il raconte les petites choses de son quotidien en les illustrant dans la marge, m'a donné l'envie de faire un journal. J'ai donc choisi un carnet de format A4, avec une couverture cartonnée Annonay et des pages blanches, qui me permet à la fois d'écrire et dessiner au stylo plume. Dès lors, l'arbrisseau était planté.

Votre journal semble surtout extime évoquant vos voyages, vos explorations de Paris, vos découvertes artistiques, des conférences ou colloques auxquels vous avez assisté. On y trouve aussi des pages plus intimes, par exemple lorsque vous évoquez des amis disparus ou vos cauchemars. Comment s'articulent ces deux aspects ?

...Quand j'ai commencé mon journal, j'étais dans la disposition d'esprit d'une jeune fille du XIXe siècle qui écrit le sien. Je le cachais au fond d'un tiroir persuadé que tous mes proches allaient le lire. C'est ce qui arriva un jour avec ma mère, qui me dit trouver cela distrayant et vouloir lire la suite. De ce jour, j'ai commencé à m'ouvrir un peu au monde et faire des petits reportages à l'extérieur comme dernièrement les machines à coudre d'un atelier de confection. Tout en dessinant, j'écoutais leur ronronnement qui me berçait. Mais les aurais-je dessinées, ces belles machines à coudre, sans le souvenir de la Singer de ma mère ? L'intime se cache souvent derrière l'extime.

Votre travail est d'une grande précision de traits, dévoilant un luxe de détails sur les endroits que vous observez ou croquant avec un sens évident de la caricature les personnes que vous croisez. J'imagine que vous travaillez sur le motif. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre mode opératoire ?


...Oui, j'aime dessiner sur le motif. Debout, à main levée avec mon stylo plume sans esquisse préalable. Mais avant il y a la séance de repérage. Pour mon sujet sur les dernières années de Toulouse-Lautrec, je voulais dessiner la cheminée, rue de Douai, où il brûla les lettres de sa mère. Et pour connaître le code de l'immeuble, j'ai longuement discuté chats avec la gardienne d'à côté avant de sonner chez les locataires. Entrez, me dirent-ils, nous sommes très honorés de savoir que la comtesse habitait chez nous. Parfois les choses se font toutes seules. Comme pour dessiner la dernière mine de charbon de France (La Houve). Les négociations de départ des mineurs ayant été faites par le ministre Gérard Longuet, cette homonymie me valut un accueil de ministre... Il m'arrive aussi de partir en promenade, carnet et stylo en poche, sans savoir quoi dessiner. Un après-midi, alors que je flânais rue du Faubourg saint-Honoré, je fus frappé par une parfumerie en travaux et ressentis le besoin impérieux de la dessiner. Pourtant on ne voyait pas grand-chose derrière sa vitrine masquée par une bâche en plastique opaque avec des coulures blanches. Et il me fallut un peu de temps pour comprendre que cela évoquait chez moi la scène terrible du rideau de douche, vue à 15 ans, dans Psychose d'Alfred Hitchcock qui, à l'époque, me terrorisa.

Quand avez-vous commencé à mettre votre journal en ligne ? Est-ce l'intégralité de celui-ci ou bien y a-t-il des pages qui restent hors ligne ? Si c'est le cas dans quelle proportion et sur quels critères effectuez-vous la sélection de ce qui est mis en ligne ? Cette mise en ligne a-t-elle induit des pratiques différentes ?

...J'ai commencé mon site en 2000. C'est-à-dire sept ans après avoir débuté mes carnets. Il y a donc, bien sûr, un effet de vases communicants entre eux. Mais mon site ne reproduit pas mes carnets à l'identique. Et parfois pas du tout (par exemple le série des cauchemars). Il m'a permis de recevoir des mails qui m'ont ouvert des portes. Le Théâtre de l'Odéon, en voyant mes dessins sur ses coulisses, m'a fait travailler pour une publication (Abécédaire de l'Odéon). L'écrivain Gilles Sebhan m'a contacté pour une biographie sur Tony Duvert. Mais écrire et dessiner sur du papier – avec la plume qui gratte, le soir quand la ville dort – cela n'appartient qu'aux carnets et ,en général, reste secret.

.Votre site propose de visualiser votre travail à partir d'angles variés : chronologiques, thématiques, par un index, à partir de séries (les feuilletons), à partir d'entrées particulières mises en avant... D'où une certaine confusion pour le lecteur. Est-ce voulu, est-ce une façon de nous inciter à nous promener dans vos pages "à sauts et à gambades" ?

..Mon appartement donne sur un balconnet où j'ai disposé des pots remplis de terre. Et au fil des années y ont poussé des arbres (un érable, un charme), des plantes (un rosier, des pissenlits) et ce qu'on nomme – à tort – des mauvaises herbes, le tout amené par le vent et les oiseaux. Je crois que mon site est lui aussi un jardin sauvage dont les graines viennent de mes carnets. On peut s'y promener (il n'y a ni lions ni serpents), sauf si on est nostalgique de l'harmonie au cordeau des jardins à la française.

.Et à l'origine ? Dans un numéro déjà fort ancien de La Faute à Rousseau (n°22, anné 1999) vous croquiez un souvenir d'enfance avec votre frère sous un titre étrange : Le mystère du tube d'Aspirine ou pourquoi je suis devenu diariste. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette origine profonde ?

..La date du numéro de La Faute à Rousseau m'a permis de retrouver cette historiette dans mes carnets (le numéro 13). J'avais huit ans et à cette époque mon père voyageait beaucoup en Afrique. Un soir, il nous parla longuement des croyances des Africains : les danses vaudou, la réincarnation dans un animal et surtout comment les esprits vengeurs pouvaient tuer quelqu'un à mille kilomètres en lui jetant un sort. Le lendemain, je décidai de faire une expérience. Après avoir vidé le contenu d'un tube d'Aspirine, j'y déposai une image pieuse où j'écrivis : Mon Dien, faites qu'il arrive un gand malheur à mon frère. Puis je glissai le tube dans les draps de son lit. En associant médecine et religion, je ne doutais pas d'un bon résultat. Hélas! rien ne se passa comme prévu. Après la découverte du tube, on menaça de m'excommunier si je recommençais. Et, ajouta mon frère, tu iras en Enfer. C'est sans doute pourquoi j'ai préféré, par la suite, confier mes étas d'âme à mes carnets plutôt qu'à un tube d'Aspirine. FIN






































"...la scène terrible du rideau de douche, vue à 15 ans, dans Psychose d'Alfred Hitchcock qui, à l'époque me terrorisa... "



...scène de film qui amena Michel Longuet, bien plus tard, à dessiner cette vitrine.
















"Le mystère du tube d'Aspirine ou pourquoi je suis devenu diariste"