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Michel Longuet en troisième
par Denis Fabé


..Lorsque jai découvert le site de ML, je me suis dit que javais sous les yeux une oeuvre séduisante et « forcément » utile pour ma classe de troisième. En effet, la démarche autobiographique de cet auteur ma paru des plus originales : écriture informatique parfois interactive, alternance de dessins et de textes sur des pages « à géométrie variable », variété des types d’écrits, humour des petites choses et « impudeur » souriante. ML. parle donc de sa vie et pose son regard amusé et généreux sur un monde qui nest pas très éloigné de celui de mes adolescents. Sans attendre, et après avoir lu Montaigne, Rousseau, Pérec et Philippe Lejeune, j’ai proposé de faire découvrir à ma classe deux pages extraites du site. La première évoque les objets ordinaires qui jalonnent notre vie et auxquels on s’attache – un fauteuil, une chaise, un tabouret repeint – la deuxième raconte l’attente du plombier et les dessins que l’on fait quand on s’ennuie. Dans ces deux extraits, point de débat sur la vérité ou le mensonge, juste le récit discontinu du quotidien en apparence le plus banal.

..La consigne a été simple :
« En quoi ces deux pages se rattachent-elles au thème de l’autobiographie ? »
L’effet de surprise a été total : « Il parle de ses chaises et de sa machine à laver. Il raconte le plombier. Il dit des choses qu’on pourrait dire ! Cest pas comme Rousseau ! »
Mais c’est « la bouteille de pipi posée sous le lit » qui a le plus intrigué :
« Pourquoi il raconte qu’il fait pipi dans une bouteille ? C’est un peu dégueu ! Ça veut dire quoi la pub qu’il met après ? » Très vite pourtant, les explications ont fusé :
– Il doit être paresseux, il aime pas se lever la nuit.
– Il raconte ça pour se montrer en vrai, peut-être aussi pour choquer ses lecteurs ?
– Mais c’est vrai, des fois on se retient quand on a pas envie de se lever la nuit...
– C’est comme pour le canapé qui sert à rien : il doit aimer les choses. Moi je crois qu’il veut nous parler de sa vie telle quelle est. » Et peu à peu le personnage de ML. est apparu, presque vivant, dans les discours des élèves

..L’analyse aurait pu sarrêter là mais c’est Cyril qui a inventé la suite du travail. « On pourrait pas faire la même chose, non ? Dire nos objets ordinaires ? On dessine, on décrit et on raconte nos objets. Ça peut être bien ! » La consigne était toute trouvée.
J’ai donc proposé à chacun de se mettre au travail et de rédiger, à la façon de ML., « son objet important, celui que l’on a dans sa chambre. On peut l’écrire pour soi, l’écrire pour le professeur ou pour le publier ou l’afficher dans la classe ». Les productions ont été étonnantes. Si certains n’ont rien rendu – « je l’ai écrit pour moi »– , si d’autres ont parodié l’auteur en décrivant leur fauteuil, d’autres sont très vite entrés dans le récit intime. L’un a raconté son ordinateur et la dure bataille pour l’obtenir, l’autre a parlé de son « nounours que pour rien au monde [il] abandonnerait car cest l’enfance. Et lenfance cest le bonheur. » Benoît lui a impressionné la classe. Timidement il a lu : « Mon objet est un foulard rouge en soie. C’est celui que ma tante a oublié un jour (...). Elle a divorcé et ça fait deux ans que je ne l’ai pas vue. Quand je le regarde, je pense à elle. J’aimerais la revoir et elle me manque ».
Après ce travail d’écriture et un retour sur le site, la réponse à ma première consigne allait désormais de soi : oui, les petits moments de ML., de toute évidence, appartiennent bien au genre autobiographique.

..Le travail a continué sur tout le site avec des surprises, des éclats de rire, des questionnements et des envies d’écriture. La place me manque ici pour tout raconter.
Mais en guise de conclusion je voudrais évoquer le « cadeau » que m’a fait Elodie. Lors de la toute dernière heure de cours de l’année, à deux jours du brevet, elle est venue me voir et m’a tendu une feuille en disant: « Je ne vous l’avais pas donné avant, mais ça ma fait du bien de l’écrire ». Le dessin représente un mégot de cigarette. Le texte qui l’accompagne dit : « C’est la dernière cigarette que mon beau-père a fumée à la maison. Il était très malade. Il partait à l’hôpital. Je savais quil ne reviendrait plus. J’ai gardé le mégot dans une poche plastique.(...).Maintenant il est mort. »

in La Faute à Rousseau
(numéro 34, Correspondances)