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Le journal intime
(genre littéraire
et écriture ordinaire)
par Françoise
Simonet-Tenant

Éditions Téraèdre
Entretien avec Michel Longuet
par Françoise Simonet-Tenant
in Le journal intime


Du journal d'adolescence aux carnets illustrés


...Né en 1945, Michel Longuet a commencé vers l'âge de quinze ans un journal qu'il a poursuivi jusqu'en 1968 et dont l'essentiel a été détruit. Devenu dessinateur, il collabore à la revue Minuit, travaille pour Télérama, réalise des courts métrages d'animation. Le dessin animé lui convient bien car il a du mal à faire un dessin sans texte. La mort de son père en 1982 provoque l'arrêt du dessin, et c'est la rencontre d'un psychanalyste en 1992 qui lui permet de dépasser ce blocage et de retrouver goût au dessin. La tenue, à compter de 1993, d'un journal illustré marque ce retour au dessin. De 1993 à 2004, trente-six cahiers couverture "carton à dessin" ont été remplis. À la fin des années 1990, le dessinateur a l'impression que son entreprise de journal illustré tourne en rond. La rencontre de l'APA (Association pour l'autobiographie et le patrimoine autobiographique) lui offre de nouvelles perspectives. Il a l'occasion de faire une lecture de certaines pages de son journal à un public restreint. L'ouverture du journal au regard d'autrui est une étape importante qui va trouver des prolongements : suivant une suggestion de Philippe Lejeune, il décide de mettre en ligne certaines feuilles extraites de son journal. Depuis début 2000, les internautes peuvent aller se promener sur son site internet.

La liaison du texte et du dessin

...Quand il reprend son journal en 1993, ML réfléchit aux modalités d'une liaison étroite du dessin et du texte et décide d'adopter un même instrument d'écriture pour passer de l'un à l'autre, refuse l'aquarelle, "trop artistique", et choisit l'encre noire et les crayons de couleur. Dessin et texte sont des moyens d'expressions complémentaires. Pour ML. le mariage de l'écriture de soi et du dessin a un maître : Tomi Ungerer dont l'ouvrage, À la guerre comme à la guerre, l'a ravi et influencé. Le dessin dit parfois ce devant quoi les mots se dérobent : ainsi ML. représente-t-il sa mère sur son lit de mort. Le dessin a également une fonction efficace de rêverie mémorielle : la représentation d'objets, possédés ou vus pendant l'enfance, agit comme un déclencheur de souvenirs. Le dessin peut être interactif: losqu'il est réalisé dans la rue, il suscite souvent des réactions, des réflexions des passants qui vont elles-mêmes être consignées dans les cahiers. Les premières années qui ont suivi la reprise du journal, ML. le tenait chez lui. Il a ensuite commencé de le "sortir" à l'occasion de ses voyages. Puis il a pris l'habitude de se promener toujours avec un carnet de croquis à portée de main. Dessiner en public ne pose pas de problème : il faut, pour ce faire, essayer de se rendre invisible. Il n'en va pas de même de l'écriture qu'il continue de coucher tranquillement quand il est chez lui.

Écrire des carnets, une façon de vivre

...Tenir des carnets n'est pas qu'un mode d'expression. C'est une façon de vivre, un mode d'être. Le diariste-dessinateur se dit 'toujours habité par les carnets". On raconte ce qu'on fait mais l'on fait aussi des choses pour qu'elles puissent figurer dans les carnets. ML. entreprend par exemple une manière de reportage dans les coulisses de L'Odéon pour l'inscrire dans ses carnets. Ces derniers, en dehors de tout système de finance et de rendement, sont une activité aussi gratuite que jubilatoire. L'entreprise des carnets fait entrer le diariste dans une sorte d'écriture-vie, et l'on ne s'étonne pas que l'un des grands chocs de lecture de ML. ait été le Journal d'Anaïs Nin.

La fondation du site internet

...La fondation d'un site internet et la possibilité de consultation des carnets en ligne ont provoqué une dynamique et une transformation. Les carnets, selon leur auteur, y ont trouvé un nouveau souffle. Cependant le diariste a conscience que la divulgation de carnets personnels implique une certaine prudence : il ne s'agit pas de devenir "incolore et inodore" mais il faut apprendre à "travestir". Le site est régulièrement visité : s'amorcent des correspondances avec des lecteurs et parfois un peu plus... Il en va ainsi d'un professeur de troisième (voir ci-dessous, ML. en classe de troisième par Denis Fabé) décidé à aborder la question autobiographique, au programme de cette classe, par le biais du site de ML. Il a choisi deux pages, extraites du site : la première évoque des objets ordinaires (un fauteuil, une table, une chaise), la seconde l'attente du plombier et les griffonnages que l'on peut faire quand on s'ennuie. Une consigne simple est donnée : "En quoi ces deux pages se rattachent-elles au thème de l'autobiographie ?" Et les élèves, surpris, de constater : "Il dit des choses qu'on pourrait dire! C'est pas comme Rousseau!" . L'analyse des pages extraites du site est suivie d'une consigne d'écriture : présenter, à la façon de ML., un objet important que l'on a dans sa chambre.

...L'humour né de l'observation attentive de l'infra-ordinaire, comme l'aurait dit Perec, et l'alliance indissoluble du texte et du dessin donnent à ces carnets modestes et subtils leur charme prenant.


Françoise Simonet-Tenant
est maître de conférences à Paris XIII.
Membre du groupe Genèse et autobiographie
de l'ITEM-CNRS.
Carnet 9